La participation des individus à l’enquête en droit international à travers les réseaux sociaux

Auteur•rice•s

Sarah JAMAL, Marie OBIDZINSKI

L’apparition des réseaux sociaux couplée au développement des fonctions vidéo et photo des téléphones mobiles a permis l’émergence d’une nouvelle catégorie de preuves dans les enquêtes sur les crimes de droit international. L’enquêteur bénéficie ainsi de nombreuses informations mises en ligne par les individus, qu’il s’agisse de vidéos, de photos ou de documents.

Partant du constat d’une évolution de l’enquête en matière de crimes de droit international par le recours aux informations issues des réseaux sociaux, cette recherche a eu pour but d’identifier l’utilisation de ces preuves et les défis qu’elles soulèvent au travers des prismes juridique et économique. Plus précisément, son objectif a consisté à analyser l’évolution du modèle d’enquête passant d’un système de production centralisé par un enquêteur qui recueille des témoignages (et d’autres types de preuves qualifiées de traditionnelles) à un système partiellement décentralisé bénéficiant du partage de vidéos, de

documents ou de photographies par des individus sur les réseaux sociaux. Après avoir proposé une définition de la preuve issue des réseaux sociaux, nous avons identifié les différents emplois de cette preuve ainsi que son importance dans les enquêtes (de son recueil à sa présentation). Par exemple, une analyse textuelle des transcriptions d’audience d’une affaire devant la Cour pénale internationale a ainsi révélé des différences dans l’utilisation des preuves par les divers participants au procès. Nous nous sommes ensuite intéressés aux défis que cette preuve soulève. Il est ressorti de nos premières observations que cette preuve est devenue indispensable aux enquêtes.

Afin d’accroître sa force probante, l’enquêteur doit veiller à la recueillir en suivant des principes forensiques conformes à la procédure pénale, puis à la préserver de la même manière. Il doit, en outre, exposer formellement les nombreuses et diverses étapes de son travail d’enquête ainsi que son respect d’une certaine méthodologie tout au long de ces dernières, afin de convaincre de sa force probante. Enfin, l’enquêteur doit être conscient du risque de fausses nouvelles – lequel augmente avec la facilité accrue des techniques de manipulation – et de celui lié à la protection des individus.

Cette analyse propose la reformulation de certains principes directeurs des enquêtes, notamment ceux développés par un Protocole dit de Berkeley, afin de renforcer la force probante de ces preuves tout en garantissant une meilleure protection des individus et un plus large accès à celles-ci, au nom du droit de la défense et du droit à la vérité. Elle suggère également la coopération des organes d’enquête avec les tiers – acteurs institutionnels ou privés – et le renforcement de la complémentarité de leurs actions. Enfin, elle encourage une formation continue des enquêteurs pour suivre les évolutions de cette preuve.

English version below / Résumé en anglais


The advent of social media, coupled with the development of video and photo capabilities in mobile phones, has enabled the emergence of a new category of evidence in the investigation of crimes under international law. Investigators can now take advantage of any information that individuals post online, whether it is videos, photos or documents. Based on the observation of the transformation of the investigation of crimes under international law through the use of information from social networks, this research aimed to identify the use of this evidence and the challenges it poses through legal and economic prisms. Specifically, the objective was to analyze the evolution of the investigation model from a centralized production system by an investigator who collects testimonies (and other types of evidence qualified as traditional) to a partially decentralized system benefiting from the sharing of videos, documents or photographs by individuals on social networks. After proposing a definition of evidence from social networks we identified the different uses of this evidence as well as its importance in investigations (from its collection to its presentation). For example, a textual analysis of the transcripts of a case before the International Criminal Court revealed differences in the use of evidence by the diverse participants in the trial. We then looked at the challenges this kind of evidence raises. From our initial observation, it is clear that this evidence has become indispensable to investigations. In order to increase its probative value, the investigator must ensure that it is collected in accordance with forensic principles in compliance with criminal procedure, and then preserve it in the same way. In addition, he must formally explain the numerous and various stages of his investigative work as well as the respect of a certain methodology throughout them, in order to convince of its probative value. Finally, the investigator must be aware of the risk of fake news – which is growing with the increasing ease of manipulation techniques – and of the risk related to the protection of individuals. This analysis proposes the reformulation of certain guiding principles of investigations, in particular those developed by a so-called Berkeley Protocol, in order to strengthen the evidentiary value of this evidence while guaranteeing better protection of individuals and wider access to it in the name of the right of defense and the right to the truth. It also suggests the cooperation of investigative bodies with third parties – institutional or private actors – and the strengthening of the complementarity of their actions. Finally, it encourages the training of investigators in order to monitor in the evolution of this evidence.